Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 19:34

SYNOPSIS

Sous les anciennes statues géantes de Bouddhas détruites par les talibans, des milliers de familles tentent de survivre dans des grottes. Baktay, une petite fille de 6 ans, entend toute la journée son petit voisin réciter l’alphabet. Elle se met alors en tête d’aller à l’école, quitte à braver tous les dangers.

 

NOTE D’INTENTION

L’Afghanistan est un pays atypique. Sur une période de 25 ans, se sont succédés au pouvoir les communistes Russes, Al Qaeda et les Talibans puis enfin les occidentaux et leurs valeurs chrétiennes. Chaque occupant avait pour dessein de chasser le précédent afin de « libérer » le pays. Mais ce qu’il résulte des vagues libératrices successives, c’est un territoire exsangue et ruiné. La destruction matérielle ne se limite pas aux agglomérations. Aujourd’hui, les jeux quotidiens de tous les enfants d’Afghanistan sont une reproduction de leur expérience de vie dans un état en guerre. Ils miment les armes des adultes, veulent lapider les petites filles ou prétendent poser des mines. Quand ils atteindront l’âge adulte, comment ces enfants, qui ont fait de la guerre le thème principal de leurs divertissements, parviendront à tisser des relations normales ? (Hana Makhmalbaf)

ENTRETIEN AVEC HANA MAKHMALBAF

Où se situe l’action de votre film ?

Une grande partie du film a été tournée à Bamian en Afghanistan, au pied des ruines des deux statues de Bouddha détruites par les Talibans en 2001.

Comment avez-vous choisi les acteurs ?

Je me suis rendue dans de nombreuses écoles à Bamian et dans ses environs. J’ai pu voir des milliers d’enfants. J’en ai auditionné des centaines jusqu’à ce que je trouve ceux qui me semblaient parfaits pour l’histoire.

Qu’avez-vous ressenti en dirigeant ces enfants ?

Ce fut une expérience très dure mais indéniablement gratifiante. Dure dans le sens où ces enfants ne connaissaient pas le cinéma. Ils n’étaient pas très à l’aise car ils n’avaient jamais tourné auparavant. La plupart n’ont même pas la télévision chez eux pour se familiariser avec la vision de leur image sur un écran. Mais c’était aussi très valorisant de travailler avec eux. Ce sont des enfants particulièrement dynamiques et de voir leur visage angélique et leur énergie, c’est une combinai­son enthousiasmante. Quand j’ai tourné avec eux, j’ai essayé d’avoir une approche différente, je voulais que le processus ressemble à un jeu.

Et vous pouvez voir ce côté récréatif dans le film. Si le film a un sens plus profond, il faut le chercher derrière les distractions des enfants.

Maintenant que le film est terminé, pensez-vous y trouver le message que vous vouliez faire passer ?

J’ai tenté de décrire les effets de nombreuses années de violence sur le pays. J’ai vraiment voulu montrer une image de l’Afghanistan contemporain pour que les adultes prennent conscience des conséquences de leur attitude sur les générations suivantes. Les enfants du film sont les adultes de demain. S’ils s’habituent à la violence si jeunes, le futur de l’humanité est en grand danger.

Un des enfants dit : « Quand je serai grand, je vous tuerai ». Cette réplique est d’autant plus forte que cet enfant a toujours vécu au milieu d’une violence exacerbée. Cette brutalité fait partie de son environnement. Je suis persuadée que la vraie école pour les enfants est celle du quotidien. L’apprentissage réside dans leur capacité à observer, assimiler et reproduire le comportement de leurs parents et des adultes. Compte tenu de ce qui les entoure, c’est assez inquiétant.

Par exemple, il y a quelques années, un terrible massacre a eu lieu à Bamian. Des hommes et des jeunes garçons ont été décapités devant leur épouse et leur mère. On ne mesure pas le traumatisme infligé aux survivants, aux enfants confrontés à la cruauté de ces actes barbares.

Les successions de conflits en Afghanistan ont brisé des générations. Ironiquement, ceux qui viennent sauver le pays n’ont que le temps de le détruire. Ils ne restent jamais pour le reconstruire. Le cycle de destruction et de violence se répète inlassablement. Seuls les protagonistes changent. Les Russes, les Talibans puis les Américains. Communistes, musulmans puis chrétiens ou athées. Tous ont en commun l’utilisation de la violence. Une violence dorénavant ancrée dans la culture des habitants de l’Afghanistan. Une violence présente même dans les jeux des enfants. Contrairement aux Etats-Unis où les jeunes font l’expérience de la violence à travers le prisme d’ Hollywood et des films d’action, les enfants d’Afghanistan l’ont vécue en étant les témoins récurrents des atrocités. Ils étaient au premier plan quand leurs familles subissaient cette violence ou quand leurs pères étaient décapités dans leur propre maison.

La traduction du titre original du film est « Buddha s’écroule de honte », mais les statues n’ont elles pas été détruites par les Talibans ?

Oui. On peut dire ça. On peut voir les images d’archives des destructions au début et à la fin du film. Le titre vient d’une histoire de mon père, Mohsen Makhmalbaf. Il disait que même une statue peut éprouver de la honte quand la souffrance ressentie par les personnes innocentes qui l’entourent est trop violente. Au point donc de s’écrouler. J’ai pensé que le titre était approprié. Non seulement pour sa portée métaphorique mais aussi parce que l’action se déroule au milieu des ruines des deux statues de Bouddha.

Le récit était-il défini dès le départ ou s’est-il étoffé durant le tournage ?

Au début j’avais un fil conducteur plutôt poétique. Je voulais retracer la journée d’une petite fille de 6 ans qui veut se rendre à l’école à tout prix. Son envie est provoquée et encouragée par son petit voisin. Elle n’a pas de cahier et doit donc vendre ses oeufs pour s’en procurer un à la papeterie mais n’a pas assez d’argent pour s’acheter un crayon. Elle prend donc le rouge à lèvres de sa mère et commence sa quête. Sans avoir conscience des modalités qu’il faut entreprendre pour devenir une élève de CP, elle va d’école en école et de refus en refus. Après la première partie du tournage, pendant la phase de montage, j’ai eu la sensation que les personnages étaient d’une certaine manière incomplets. Je suis donc allée voir ma mère, la scénariste et nous avons retravaillé sur le sujet.C’est ainsi que la journée décrite dans le film est en fait tournée sur trois saisons différentes : printemps, été et automne.

Comment les personnages du film ont-ils évolué ?

En partie durant l’écriture, en partie pendant le tournage. Dès que j’ai commencé à filmer, de nouveaux éléments me sont apparus et j’ai eu envie de modifier ce que je voulais faire passer. J’ai longtemps observé le comportement des enfants autour de nous avant de décider d’incorporer certains de leurs jeux dans le récit. Au fil de notre cohabitation, je suis tombée sur de nouvelles idées que je jugeais capables d’enrichir le récit.

Je suis ainsi entrée en contact avec un homme qui était communiste pendant l’invasion russe, Mollah sous les Talibans et qui travaille maintenant pour les Américains. Dans le film, il ressemble à l’enfant qui tue sans discontinuer, chaque fois en modifiant son identité. Un autre exemple : celui de l’enfant qui s’entraîne inlassablement à répéter l’alphabet quoi qu’il arrive. Même sous la torture, il ne veut pas abdiquer et continue de s’exercer. On sent qu’il ne va jamais réussir à le maîtriser. Des efforts sans fins pour des progrès inexistants ! Contrairement au cas du premier personnage, celui-là n’a jamais été en contact avec une quelconque forme de pouvoir. Il a été trompé et détruit par les gens qui le détiennent. C’est le cas de bon nombre de nations dans le monde. Des individus sont victimes de tromperies, de tortures et de massacres. Ils n’abandonnent pas ce qu’ils entreprennent mais ne seront jamais vraiment récompensés.

Pour le petit garçon, l’évolution se situe dans sa prise de conscience. Il faut parfois savoir mourir pour pouvoir continuer. Ce n’est pas une expérience ordinaire.

Le film a-t-il un héros ?

Il n’y a pas de héros dans le film. Même la petite fille n’est pas vraiment une héroïne puisqu’elle ne parvient pas à remplir sa mission. Elle accepte en plus de mourir, du moins temporairement, comme les statues de Bouddha. Elle n’a de toutes façons pas le choix.

Je pense qu’il n’y a pas de héros dans le film, parce qu’il n’y en a pas non plus dans la réalité. Dans un souci de décrire de la manière la plus crédible possible les personnages de la vie de tous les jours il était difficile d’en faire des héros... Chaque personnage représentant une tranche de vie. Par exemple, quand les garçons « jouent » à la guerre de leur père, les filles sont un peu perdues quant au rôle de leur mère. Elles mettent du maquillage comme une forme de rébellion inconsciente. De ce point de vue, nous sommes dans un pays ou grâce à l’imagination, les armes sont des bâtons de bois, les écoles sont prises d’assaut par du rouge à lèvres et les villes bombardées par des cerfs-volants.

Parlez-nous de vos deux premiers films et de votre expérience dans le cinéma jusqu’à aujourd’hui...

Ma dernière expérience, JOY OF MADNESS, est un documentaire, un making-of du film À 5 HEURES DE L’APRÈS-MIDI de ma soeur Samira que j’ai tourné en numérique, sans équipe. Au départ, l’idée était de garder une preuve de tous les problèmes que Samira pouvait rencontrer durant le tournage en Afghanistan. Le résultat final ressemblait en fait plus à une description du quotidien des femmes de Kaboul après l’invasion américaine. Mon premier film, THE DAY MY AUNT WAS ILL est un court-métrage que j’ai réalisé quand j’avais 8 ans avec un caméscope. Il y a donc un fossé de neuf années entre les deux oeuvres. Période pendant laquelle j’ai continué à travailler sur d’autres projets, d’autres films en tant que photographe, assistante de réalisateur, etc...

Pourquoi avoir tourné en Afghanistan et pas en Iran ?

Je ne filme que les histoires qui m’intéressent, quand j’ai l’autorisation de le faire. J’ai beaucoup d’idées, de sujets, de récits qui se dérouleraient en Iran et j’espère qu’un jour je pourrais franchir le stade de projets. Actuellement le contexte n’est pas propice.

Comment voyez-vous le futur de l’Afghanistan ?

Les Talibans sont partis, mais leur impact sur la culture du pays est indélébile. La situation de conflits perpétuels a touché de plein fouet la culture plus que les infrastructures du pays. La violence, qui actuellement influence l’âme même des enfants, doit être considérée comme l’un des problèmes les plus importants. Ahmad Shah Massoud disait : « Un homme politique efficace n’est pas celui qui peut formuler les meilleures hypothèses sur le futur. C’est l’homme politique qui comprend le présent ». Quand je suis là-bas, j’ai l’impression que le monde ne comprend pas la complexité de la situation actuelle. Comment peut-on alors prétendre organiser la reconstruction du pays ?

D’où vous est venue cette envie de faire des films ? Est-ce parce que vous venez d’une famille de réalisateurs ou bien sentez-vous que c’est votre seul moyen d’expression ?

En tant que femme iranienne de 18 ans, vivant en Iran avec tout ce que cela comporte de pressions sociales, idéologiques et politiques, j’estime avoir des choses à dire. J’écris la plupart de mes impressions et mes idées de films sous la forme de court-métrage, pour moi.

Même si LE CAHIER n’a pas été fait en Iran, le film porte en lui ce que je revendique. La souffrance en Iran et en Afghanistan est commune. Ces deux nations ont des problèmes sociaux et culturels similaires.

Quand vous êtes vous intéressée au cinéma ?

Quand j’avais 8 ans. Avant je voulais devenir peintre. J’étais devenue amie avec une grande peintre iranienne. Quand j’ai réalisé à quel point elle était seule pendant ses longues séances de peinture, je me suis rendue compte que, si j’aimais son travail, je ne pouvais en supporter les conditions. Le cinéma est plus dynamique. Quand mon père travaillait, j’étais toujours ravie par ces vagues d’énergie qui entouraient ses films. Rien que les mots : « Son, Caméra, Action » m’excitaient. Il y avait une sorte de pouvoir qui englobait ces trois mots. C’est pour ça que j’ai quitté l’école primaire au bout de deux ans. À 8 ans, au même moment Samira a quitté le collège. J’ai étudié à ses côtés pendant les cours que donnait mon père. J’ai aussi participé à des projets familiaux, comme photographe...etc.

Est-ce que votre père vous a soutenue quand vous avez quitté l’école ?

Comme mon père ne croyait pas au système scolaire iranien qui préférait inculquer une idéologie plutôt qu’une science, il m’a dit : « Si tu es prête à expérimenter d’autres études, bienvenue à l’école. » Et mon travail est devenu plus difficile à partir de ce moment-là puisque je prenais des cours de cinéma avec mon père tout en suivant les matières que mes camarades continuaient d’apprendre à l’école.

Quels genres de problèmes peuvent causer ce type d’études ?

Par-dessus tout, la jalousie de mes camarades. Quand ils ont vu que je lisais en un mois des livres qu’ils mettaient un an à finir, que je réussissais des examens et que je faisais ce qui me plaisait, j’ai eu le sentiment qu’ils étaient devenus un peu jaloux. À un moment, quelques années après l’avoir quittée, l’école normale m’a manqué. J’y suis donc retournée pendant deux semaines. Mais les menaces des professeurs, les méthodes d’enseignement et le ton très idéologique présent dans toutes les matières m’ont à nouveau déplu. Un jour, quand je me suis regardée dans le miroir, je me suis sentie comme une vieille dame et je ne suis plus retournée à l’école.

Que pensez-vous du métier de réalisatrice ?

Au fur et à mesure du chemin parcouru, la difficulté de ce travail s’est faite plus présente. Quand j’étais petite, j’entendais le terme « censure ». Aujourd’hui, j’en ai fait l’expérience.

Ce scénario est resté dans les bureaux du Ministère de la Culture Iranienne pendant des mois. Il n’a jamais eu d’autorisation. Aujourd’hui, le cinéma nous a pratiquement exilés. Mon père vit comme un nomade pour échapper à la censure. Mon dernier film a été tourné en Afghanistan, monté au Tadjikistan et tout le travail en laboratoire a été effectué en Allemagne.

Que pensez-vous de Samira ? En quoi est-elle différente de vous ?

C’est une pionnière. Pour moi comme pour mes congénères. Pour l’Iran comme pour le reste du monde. Elle est un modèle pour les jeunes générations et plus encore pour les femmes à qui elle a insufflé une incommensurable confiance. D’un autre côté, elle est très particulière et utilise sa folie pour faire ses films. C’est pour ça qu’elle pense que l’ex-président d’Iran n’a pas réussi. Il n’était pas assez fou. Samira pense que le fou peut faire avancer l’Histoire alors que le sage ne fait que la contrôler. Je ne suis pas aussi folle qu’elle. Mais j’ai commencé plus tôt. Ces comparaisons ne sont pas très intéressantes. Peut-être qu’un jour, nous quitterons toutes les deux le monde du cinéma pour vivre comme les autres. Je crois profondément que les réalisateurs ne sont pas les personnes qui savent faire des films, mais plutôt celles qui ne savent pas vivre comme les autres.

GRAND PRIX FESTIVAL DE SAN  SEBASTIÁN

SORTIE LE 20 FÉVRIER 2008

DURÉE 1H21

Propos recueillis dans le Dossier de Presse du film

Auteurs : Laurence Granec et Karine Ménard

RENDEZ-VOUS SUR CE BLOG DEBUT FEVRIER

POUR LIRE LA CRITIQUE DU FILM



Partager cet article
Repost0

commentaires