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12 février 2006 7 12 /02 /février /2006 18:00
Une  comédie dramatique aux attraits bien british avec en prime une pointe anticonformiste sur l’importance du rêve et de l’imaginaire face aux réalités de la vie.

Londres, 1937. Laura Henderson vient tout juste d'enterrer son cher époux et... elle s'ennuie à mourir. Que faire de sa vie quand, à soixante-neuf ans, on est très riche, en bonne santé, et qu'on ne cultive aucun goût excessif pour la nostalgie ? À la surprise générale, Mme Henderson décide d'acheter un théâtre au coeur de Soho : le Windmill qui deviendra le moulin rouge anglais. Totalement ignorante des histoires de gestion d'une salle de spectacles, elle fait appel au talentueux Vivian Van Damm, directeur artistique et administrateur chevronné.

Mme Henderson présente, sans être un grand film, tient d’abord par son grand duo d’acteurs formé par Judi Dench et Bob Hoskins, deux fortes personnalités qui  ne tardent pas à se heurter, amis ennemis, mais unis par l’amour du théâtre et du spectacle. Cette étrange et fiévreuse relation ne tardera cependant pas à porter ses fruits. Mieux, elle bouleversera très vite les frileuses habitudes du théâtre britannique avec un numéro de danseuses légères qui feront trembler les responsables de la censure de l’époque !

Comme dans l’exubérant mais non moins excellent Moulin Rouge de Baz Luhrmann, Stephen Frears utilise l’histoire d’un théâtre et de l’évolution de ses spectacles entre les deux guerres. Cet univers de l’imaginaire et des paillettes génère le rêve au cœur d’une ville qui va vite connaître la violence du blitz, de la guerre et, au-delà, du mal tout simplement. Le réalisateur ajoute parfois au récit des images d’actualité, par exemple  l’arrivée d’Hitler à Paris, capitale du strass et du music-hall. Le monde du réel s’oppose puis se mélange au monde de la féerie et du spectacle. Ainsi le film montre le rôle important des marchands de rêve dans cette époque troublée. Pendant la guerre, les salles de spectacles, et notamment de cinéma, n’ont jamais été aussi remplies, les films de Chaplin par exemple faisaient la joie de nombreux soldats. Bref il était essentiel de rêver et de garder l’espoir au cœur de la guerre, c’était même vital. Stephen Frears aborde ces moments de la démarche artistique où réalité et imaginaire ne font qu’un. L’art détient une force créative et délivre à l’homme une énergie utile pour la vie. Des moments qui font advenir la réalité comme puissance de création. La vie avec ses drames et ses joies devient spectacle artistique elle-même.

Le montage, très bien rythmé par les numéros de scène, alterne habilement l’univers de la magie du spectacle et les réalités de la société anglaise d’avant-guerre, l’intime des personnages et les réactions sociales du public. Stephen Frears  a aussi fait un choix judicieux en prenant George Fenton comme compositeur pour l’excellente musique qui tient une place prépondérant dans le film.

La distance du réalisateur par rapport à son sujet est aussi ce qui donne au film son originalité (en plus de son générique de début qui vaut le déplacement… mais chut !). Toutes britanniques, cette réserve dans les rapports humains et la pudeur des sentiments ne viennent que renforcer les propos du film, dans un humour doux amer dont les Anglais ont le talent. Montrer que derrière des activités ou un comportement apparemment frivoles peuvent se cacher une très grande profondeur ainsi qu’une lourde gravité : tel est l’aspect original de ce film. Longtemps les institutions ont considéré les artistes et les indépendants comme frivoles voire néfastes  pour le genre humain, en oubliant la force du rêve véhiculée dans l’art et le spectacle ainsi que l’espérance qu’elle peut réveiller.

Le film se présente donc à nous comme un plaidoyer pour la beauté dans l’art, pour son utilité dans l’existence. Et, ultime ressort, il plaide pour la liberté d’expression comme de pensée (Mme Henderson et son directeur restent libres au cœur des contraintes). La réalisation peut être démodée dans son esthétisme d’entre-deux guerres mais reste très moderne dans ses propos: le monde actuel (bien réel celui-ci) s’enferme chaque jour plus dans des réflexes de conformisme et de moralisme signifiant par là une peur de la vie et de la réalité. Aussi ce film réussi, travaillé amène t-il un vrai courant d’air frais au cœur d’un cinéma et d’une société, la nôtre, très marqués par les poncifs, la tiédeur et le politiquement correct.



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