Après le coup de génie de Sixième sens, M. Night Shyamalan revient au meilleur de sa forme avec Phénomènes, petit bijou cinématographique et dadrénaline comme on nen avait pas vu depuis longtemps dans le domaine du fantastique.
Dès les premiers plans, lhypnotique pouvoir des images sempare du spectateur. Du cinéma imprégné de spiritualisme et usant généreusement du potentiel de fascination du cinéma, comme seul ce réalisateur, guidé par une quête mystique, sait lutiliser. Le premier quart dheure -dun total brio- nous fait assister aux premières manifestations du fameux phénomène : les habitants des villes se suicident les uns après les autres sans explication. Première image et premières secondes, à peine le temps de sortir du générique et le film installe, avec une densité rare et de manière très puissante, leffroi et le surnaturel. Une intrusion du fantastique et de la mort dans un univers des plus quotidiens, qui rappelle sans difficulté celui des Oiseaux dHitchcock.
Le secret de Shyamalan ? Poursuivre sans cesse lexploration de ses obsessions personnelles (notamment la peur de la mort) à travers le cinéma quil utilise clairement comme une thérapie. Signifier lintrusion de lextraordinaire dans les situations des plus ordinaires, chercher le caché au travers du montré : telles sont les ressorts profonds de son langage cinématographique. Sa caméra ne fait pas que capter les images, elle est elle-même notre second il qui scrute de manière méditative lunivers du quotidien pour y percer linvisible, pour le faire parler ou apparaître à limage. Les plans très lents et le montage fluide laissent le temps dimaginer et dextrapoler un au-delà du récit, qui nest pas de lordre du descriptif mais du symbolique, dans limaginaire et la conscience du spectateur. Chaque plan porte en lui une charge de sens qui laisse libre cours aux fantasmes et aux émotions intimes de chacun.
Sinscrivant dans un fantastique social, Phénomènes fait surgir langoisse dans les situations des plus communes. Le format de Phénomènes refusant le cinémascope donne au film un caractère plus rétro. Une option du cinéaste qui cherche ainsi à mieux valoriser la densité du sujet et la force des images sans jouer sur leffet dannonce. Le jeu des acteurs reste suffisamment neutre et leurs personnages suffisamment banals pour que lon se concentre sur tout ce qui nest pas humain, la végétation, les objets, la maison, la ville Les éléments et les objets sont en fait les véritables acteurs du film parce que la terreur vient deux. Une plante devient terrifiante, un coup de vent suffit à faire sursauter, une porte claque de manière angoissante, une tondeuse se transforme en une arme inquiétante Là est la trace du génie de Shyamalan : il met la technique du cinéma, le son, lespace des décors au service du suspens et du fantastique (comme le faisait par exemple Alejandro Amenábar dans Les Autres) dans une tension constante qui ne vous lâche quune fois sortis de la salle.
Phénomènes est un film, à tous points de vue, psychotique. A un premier degré, il explore linconscient humain. On baigne en pleine paranoïa et lon assiste à des dépressions nerveuses en cascades ! Les fantasmes de mort et de suicide décrits à lécran renvoient lêtre humain à ce quil a de plus trouble en lui, une zone de linconscient qui, par limage, ne connaît plus de tabou ni le barrage du conscient. Cette sensation procure un profond malaise chez le spectateur et vient toucher des zones sombres et inexplorées de sa psychologie profonde. Il y a comme chacun le sait au fond de chaque homme des instincts de mort que le cinéma vient ici exhumer. A ce titre, cela fait longtemps que lon navait pas vu des images aussi audacieuses et dérangeantes, loin du politiquement correct, comme le cinéma le permet.
A un autre niveau, collectif celui-ci, Phénomènes savance nettement sur le terrain des psychoses du monde moderne, exprimées quant à elles quotidiennement dans tous nos journaux télévisés : menace écologique, peur sourde de la menace terroriste, peur de la fin du monde, peur de lautre et de soi-même, peur de tout en somme
Le film prend la figure dune allégorie de cette « chose » qui nest pas nommée et qui entrave la relation humaine. La peur du contact, le refus de la différence, la claustration, la phobie et le repli sur soi face aux difficultés du monde, notamment celles que génère
Oui, décidemment, le cinéma de ce réalisateur dorigine indienne est celui de lailleurs, de lau-delà du cadre dans lequel une universalité de lhumain peut se frayer un chemin de vie et damour, comme lannonce le test de maternité final dun couple ressoudé. Chemin despérance pourtant bien fragile dans un monde où, au-delà des frontières, semble souffler désormais un vent mauvais