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28 janvier 2007 7 28 /01 /janvier /2007 15:51

COUP DE COEUR

CRITIQUE

Vincent Mandel a bien des ennuis. Terrassé par la perspective d’un divorce qui risque de le priver de ses jeunes enfants, il voit soudain se resserrer sur lui une terrible machination orchestrée par un type collant en diable, Joseph Plender, avec qui il a été au collège lorsqu’ils étaient adolescents. Du travail d’orfèvre qui amène Vincent Mandel au cœur d’une toile d’araignée dont les fils vont peu à peu l’étouffer.

Le scénario du film Le serpent est inspiré du roman de Ted Lewis, Plender. Rapporté dans la  France d’aujourd’hui par le réalisateur Eric Barbier, l’histoire s’insinue doucement dans la banalité du quotidien jusqu’à le faire vaciller. Une vengeance démoniaque, précise, imaginée par un type, sans doute malade mais bien réel. Superbement campé par Clovis Cornillac, Joseph Plender cache, sous une suavité polie et bon enfant, une cruauté maniaque. Blouson de cuir un peu usé, poignée de main franche et regard qui ne se dérobe pas, il est toujours prêt à rendre service aux vieux amis. Face à lui, Yvan Attal en Vincent Mandel se détériore à vue d’œil : la chemise chiffonée, le visage déchiré par le doute et l’œil hagard devant tant de mauvaises coïncidences, il traverse sa vie en somnambule hanté par la peur et l’indécision. Le duel de ses deux personnages/acteurs est un régal !

Dans les décors glacés des villes modernes, le béton qui se prête à toutes les constructions, se prête aussi à toutes les frayeurs une fois la nuit tombée. D’autant plus qu’au fil de l’intrigue, les personnages finissent par vaciller dans leur vision et leur utilisation du Mal. Jusqu’où peut-on aller pour faire triompher la vérité ? On frissonne souvent jusqu’à l’ultime scène et sa vérité glaciale.

Cette critique a été rédigée par Magali Van Reeth assistante au service communication du diocèse de Lyon, également attachée de presse du jury oecuménique du festival de Cannes.

RENCONTRE AVEC LE REALISATEUR DU SERPENT, ERIC BARBIER

Où êtes-vous allé chercher cette terrifiante et captivante histoire de manipulation ?

Tout est parti d’un écrivain anglais, Ted Lewis, auteur de Plender, le livre dont est tiré Le Serpent. J’avais lu par curiosité un de ses premiers romans Get Carter car il avait été adapté au cinéma par Mike Hodges, avec Michael Caine. C’est là que j’ai découvert l’univers unique, très sombre, très violent de Lewis. Ted Lewis qui est mort jeune, à 42 ans, n’a malheureusement écrit que sept très beaux romans. Parmi eux il y avait Plender. L’histoire est celle d’un person­nage qui en harcèle un autre, pour se venger d’événements liés à son enfance. C’est un livre qui m’a profondément touché. D’une part parce qu’il parle des blessures liées à l’enfance ; d’autre part parce qu’il fait partie de ces histoires qui fonctionnent sur le plaisir qu’on prend à voir le héros se faire torturer.

                                                               

Y a-t-il eu un gros travail d’adaptation ?

Avec Plender, on avait une histoire qui s’inscrivait dans les systèmes narratifs de harcèlement, que l’on retrouve dans des films comme Les Nerfs à Vif, L’Inconnu du Nord Express, Liaison Fatale. Quelqu’un qui rentre dans la vie d’un autre et qui va en changer toutes les données. Le livre contenait déjà deux, trois grands mouvements cinématographiques, notamment le vol du cadavre et l’accident. Mais Lewis prenait ouvertement le parti du bourreau et avec Trân-Minh Nam, le scénariste, on s’est confronté à cette grande difficulté qui était de complètement réhabiliter le héros. Dans le roman, le personnage de Vincent est lâche, presque repoussant ! Pour vous donner un exemple, dans le roman, Vincent qui vient de coucher avec Sofia, tente de se débarrasser de son corps après sa chute dans les escaliers, ce que nous ne pouvions garder dans le film car il fallait que Vincent soit innocent – je parle en terme de morale - pour que l’intrusion de Plender dans sa vie ait un sens. Dans ce type de films, l’antagoniste - qui est souvent un grand manipulateur - est toujours très fort ; tout le travail a consisté à faire remonter le protago­niste pour qu’il ne soit pas complètement écrasé.

Le second problème majeur auquel nous nous sommes con­frontés a été de trouver une fin. Le roman a une fin abrupte où Plender se fait tuer par un tiers. Pour le film, nous nous devions d’imaginer un retournement qui soit à la hauteur de ce que le héros subit pendant les trois quarts de l’histoire. Pour se faire, nous sommes partis de l’envie théorique de structurer le film en miroir : tout ce que le méchant ferait subir au gentil, le gentil le ferait subir au méchant dans la deuxième partie du film. Mais cela nous a pris beaucoup de temps avant de trouver l’oeil pour l’oeil et la dent pour la dent. Au final je pense que nous avons réussi à ce que le héros redevienne un héros, après avoir construit lui-même son cheminement pour devenir héroïque.

Comment avez-vous travaillé ?

L’expérience que j’ai eue sur mes films précédents - qui sont des films pour lesquels j’ai de l’affection mais que je n’aime pas – m’a poussé à considérer que le scénario était le centre absolu d’un projet. Donc quand on s’est lancé sur Le Serpent, l’idée était de travailler différem­ment. De ne pas se jeter à corps perdu dans l’écriture mais d’arriver à se raconter l’histoire du début à la fin en questionnant en permanence les avancées, sans jamais contourner un obstacle qui se présente. Le principe était de ne jamais structurer la narration autour d’une scène que j’aurais eu envie de tourner mais de revenir à l’éternelle question “Qu’est-ce qu’on raconte ?”, “Qu’elle est l’histoire ?”, “Qu’elle est la dy­namique de chaque mouvement ?”. Avec Nam, on s’est mis à parler du film en marchant, on marchait, on marchait, et le travail était de se raconter l’histoire, de la détailler de plus en plus jusqu’au moment où l’on pensait tenir quelque chose. Là, on écrivait assez vite, on faisait lire à quelques personnes qui nous critiquaient. On reprenait ensuite la structure de l’histoire en intégrant dans nos discussions les points qui avaient été soulevés. En procédant de la sorte nous avons écrit une douzaine de moutures où chaque remise en cause était un pas de plus pour arriver à une histoire qui tienne en haleine le spectateur, où le héros gagne ses galons.

 

Comment avez-vous eu l’idée de former ce couple inédit : Yvan Attal et Clovis Cornillac ?

J’avais Yvan Attal en tête pour Vincent dès que nous avons commencé à travailler sur le scénario. C’est un acteur que j’avais envie de filmer depuis longtemps. Quand il a accepté le film, je me suis trouvé dans la situation idéale de voir l’acteur que j’imaginais depuis le début jouer le rôle. Yvan a été très actif sur le projet, c’est lui qui a été à l’origine de ma rencontre avec Clovis Cornillac qui m’avait impressionné par sa prestation dans le film de Thomas Vincent Karnaval. Clovis était parfait pour le rôle. Il avait changé physiquement, il s’était étoffé tout en gardant ce visage lunaire, ces yeux transparents presque innocents où l’on voit l’enfant dans certaines scènes du Serpent. Yvan et Clovis se connaissaient depuis longtemps et j’ai été heureux de leur permettre de se rencontrer dans le travail.

 

Et Pierre Richard ?

Pour le rôle de l’avocat Gilles Cendras, je cherchais un acteur d’une soixantaine d’années qui ait la prestance d’un avocat d’affaires tout en dégageant une certaine fragilité. L’histoire de Pierre Richard dans le cinéma français n’est plus à faire. C’est quelqu’un qui a marqué la jeunesse de tous les gens de ma génération. L’idée s’est imposée comme une évidence. Je l’ai rencontré chez lui un matin, il avait ses cheveux droits sur la tête, sa barbe hirsute. On a discuté du personnage de Gilles Cendras, du scénario. À un moment, je lui fais remarquer que Cendras est un avocat et qu’il va devoir se couper les cheveux et la barbe… et là, un blanc... un ange qui passe, puis deux, puis trois… Pierre se lève, il va faire un tour dans son salon, puis il revient tout d’un coup pour me dire : “Je ne peux pas faire ça, je porte la barbe depuis plus de dix ans, si je la coupe je vais être tout nu !”. Il s’est rasé deux ou trois jours avant de recevoir son César. Quand je l’ai vu à la télévision je me suis dit : “Ça y est, Pierre fait le film”. Je crois qu’il était content de changer de peau pour ce personnage, content de jouer un avocat. Le travail avec lui a été vraiment formidable. Tous les acteurs se sont vraiment impliqués sur le projet, de Minna Haapkyla qui est venue de Finlande pour jouer la femme de Vincent à Simon Abkarian qui joue son avocat, Olga Kurylenko, Véronika Varga, Jean Claude Bouillon, Gérald Laroche, Pierre Marzin... je pourrais les citer tous.

 

Le tournage était-il aussi éprouvant que l’histoire ?

Pour raconter le scénario en images, j’ai travaillé avec Marie Eynard. Ensemble nous avons conçu deux types de story-boards : un premier pour les scènes d’action (la chute, l’accident, etc.), où les dessins étaient très précis car dans ces scènes c’est l’image qui conduit l’his­toire et construit la tension. Un second plus malléable, pour les scè­nes de comédie. Grâce à cette préparation d’avant tournage, je savais exactement ce qu’il fallait raconter visuellement pour qu’une scène fonctionne. Je savais par exemple la liberté que pouvaient prendre les acteurs dans une scène de comédie sans que cela déséquilibre le film. Pendant le tournage, Nam et Marie qui n’avaient pas - de par leurs fonctions - la même pression que les gens plus impliqués dans le système de fabrication, sont restés très proche du film. Nous avons poursuivi nos discussions sur la narration et le découpage jusqu’à la fin du montage.

 

La musique est très présente dans le film. À quel moment l’avez-vous intégrée au projet ?

La musique a été travaillée en amont, sur le scénario. Musicalement l’histoire est construite à partir des personnages : une structure musicale pour Plender et une structure musicale pour Vincent.

La difficulté était de trouver une musique qui raconte la folie de Plender, qui crée un malaise quand il s’introduit dans la vie de Vincent. On cher­chait un son avec une ritournelle, un motif au piano, un truc obsédant, comme quelque chose de l’enfance qui n’arrive pas à sortir du film, qui ne sortira qu’à la fin, dans le combat à mort. Renaud Barbier, le com­positeur, a travaillé au piano sur des motifs de boîte à musique qu’il a épaulés avec des sons assez inquiétants.

Pour Vincent, il a trouvé un thème plus classique, plus mélodique qui sert à renforcer son isolement dans le film.

Renaud voulait aussi travailler avec des instruments peu utilisés, pour avoir des sons qui soient difficilement identifiables, plus inquiétants. Il a travaillé avec un orgue qui donne une tonalité un peu aigre. C’est un vieux son, assez beau, auquel il a ajouté des bruits d’enclume et d’autres sons synthétiques qui donnent à la musique cette tessiture si particulière. J’ai eu la chance de démarrer le tournage avec la musique du film en tête. Le thème de Vincent, les mouvements musicaux sur Plender. Je connaissais l’univers musical dans lequel on évoluait.

 

 

Vous êtes un réalisateur qui fait le lien entre le cinéma d’auteur et le cinéma de genre et, en même temps, vous avez une place à part dans le cinéma français. Pourquoi ?

Ce qui a déterminé mon chemin dans le cinéma, c’est que j’ai mis en scène en 1990 un premier film, Le Brasier, très cher, très lourd, assez jeune, à trente ans, sur lequel j’ai fait beaucoup d’erreurs. C’est un film raté sur lequel il y a eu une sorte de quiproquo. C’était un long-métrage ambitieux. Je voulais réaliser un grand film populaire, une saga, l’his­toire d’une famille polonaise qui émigre dans le Nord de la France dans les années 30. Malheureusement et pour des raisons assez complexes, le film ne s’est pas fait comme je l’imaginais.

 

Et vous attendez dix ans pour réaliser Toreros...

Le Brasier a pris une grosse partie de ma vie... presque dix ans. Après l’échec du film, cela a été compliqué pour moi d’avoir envie de refaire un autre long-métrage. Pas de réaliser un autre film, mais d’avoir réellement envie de faire un autre film. J’ai eu des propositions mais en fin de compte, je n’avais plus envie.

Pendant cette période, j’allais voir beaucoup de corridas, et ce qui m’a redonné envie de faire du cinéma, c’est la rencontre avec la tauromachie. J’ai passé pas mal de temps dans ce milieu et j’ai eu envie de réaliser une fiction sur ce sujet. Cela a donné Toreros un film un peu atypique pour lequel j’ai beaucoup d’affection.

Le côté positif de ce parcours c’est que Le Brasier et Toreros ont changé ma manière d’appréhender le travail. En dehors des anec­dotes, ces long-métrages ont changé ma façon de travailler sur les films. Ils m’ont remis en question, par rapport à tout le fonctionnement autour d’un projet cinématographique. Pour Le Serpent, les producteurs – qui connaissaient ce passé – ont beaucoup porté le projet. Ils m’ont toujours soutenu dans les moments dif­ficiles ce qui m’a permis de ne pas m’écarter du chemin que je devais suivre pour faire aboutir le film.

(propos extraits du dossier de presse du film)


FILMOGRAPHIE

2006 LE SERPENT

2000 TOREROS

1990 LE BRASIER

Éric Barbier a également réalisé de nombreux films publicitaires et UN AIR DE LIBERTÉ, téléfilm pour ARTE en 1993.

Pour en savoir plus sur le film, ses acteurs, sa fiche technique, rendez-vous sur le site officiel du film

 http://www.leserpent-lefilm.com/




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