COUP DE COEUR
CRITIQUE
Vincent Mandel a bien des ennuis. Terrassé par la perspective dun divorce qui risque de le priver de ses jeunes enfants, il voit soudain se resserrer sur lui une terrible machination orchestrée par un type collant en diable, Joseph Plender, avec qui il a été au collège lorsquils étaient adolescents. Du travail dorfèvre qui amène Vincent Mandel au cur dune toile daraignée dont les fils vont peu à peu létouffer.
Le scénario du film Le serpent est inspiré du roman de Ted Lewis, Plender. Rapporté dans
Dans les décors glacés des villes modernes, le béton qui se prête à toutes les constructions, se prête aussi à toutes les frayeurs une fois la nuit tombée. Dautant plus quau fil de lintrigue, les personnages finissent par vaciller dans leur vision et leur utilisation du Mal. Jusquoù peut-on aller pour faire triompher la vérité ? On frissonne souvent jusquà lultime scène et sa vérité glaciale.
Cette critique a été rédigée par Magali Van Reeth assistante au service communication du diocèse de Lyon, également attachée de presse du jury oecuménique du festival de Cannes.
RENCONTRE AVEC LE REALISATEUR DU SERPENT, ERIC BARBIER
Où êtes-vous allé chercher cette terrifiante et captivante histoire de manipulation ?
Tout est parti dun écrivain anglais, Ted Lewis, auteur de Plender, le livre dont est tiré Le Serpent. Javais lu par curiosité un de ses premiers romans Get Carter car il avait été adapté au cinéma par Mike Hodges, avec Michael Caine. Cest là que jai découvert lunivers unique, très sombre, très violent de Lewis. Ted Lewis qui est mort jeune, à 42 ans, na malheureusement écrit que sept très beaux romans. Parmi eux il y avait Plender. Lhistoire est celle dun personnage qui en harcèle un autre, pour se venger dévénements liés à son enfance. Cest un livre qui ma profondément touché. Dune part parce quil parle des blessures liées à lenfance ; dautre part parce quil fait partie de ces histoires qui fonctionnent sur le plaisir quon prend à voir le héros se faire torturer.
Y a-t-il eu un gros travail dadaptation ?
Avec Plender, on avait une histoire qui sinscrivait dans les systèmes narratifs de harcèlement, que lon retrouve dans des films comme Les Nerfs à Vif, LInconnu du Nord Express, Liaison Fatale. Quelquun qui rentre dans la vie dun autre et qui va en changer toutes les données. Le livre contenait déjà deux, trois grands mouvements cinématographiques, notamment le vol du cadavre et laccident. Mais Lewis prenait ouvertement le parti du bourreau et avec Trân-Minh Nam, le scénariste, on sest confronté à cette grande difficulté qui était de complètement réhabiliter le héros. Dans le roman, le personnage de Vincent est lâche, presque repoussant ! Pour vous donner un exemple, dans le roman, Vincent qui vient de coucher avec Sofia, tente de se débarrasser de son corps après sa chute dans les escaliers, ce que nous ne pouvions garder dans le film car il fallait que Vincent soit innocent je parle en terme de morale - pour que lintrusion de Plender dans sa vie ait un sens. Dans ce type de films, lantagoniste - qui est souvent un grand manipulateur - est toujours très fort ; tout le travail a consisté à faire remonter le protagoniste pour quil ne soit pas complètement écrasé.
Le second problème majeur auquel nous nous sommes confrontés a été de trouver une fin. Le roman a une fin abrupte où Plender se fait tuer par un tiers. Pour le film, nous nous devions dimaginer un retournement qui soit à la hauteur de ce que le héros subit pendant les trois quarts de lhistoire. Pour se faire, nous sommes partis de lenvie théorique de structurer le film en miroir : tout ce que le méchant ferait subir au gentil, le gentil le ferait subir au méchant dans la deuxième partie du film. Mais cela nous a pris beaucoup de temps avant de trouver loeil pour loeil et la dent pour la dent. Au final je pense que nous avons réussi à ce que le héros redevienne un héros, après avoir construit lui-même son cheminement pour devenir héroïque.
Comment avez-vous travaillé ?
Lexpérience que jai eue sur mes films précédents - qui sont des films pour lesquels jai de laffection mais que je naime pas ma poussé à considérer que le scénario était le centre absolu dun projet. Donc quand on sest lancé sur Le Serpent, lidée était de travailler différemment. De ne pas se jeter à corps perdu dans lécriture mais darriver à se raconter lhistoire du début à la fin en questionnant en permanence les avancées, sans jamais contourner un obstacle qui se présente. Le principe était de ne jamais structurer la narration autour dune scène que jaurais eu envie de tourner mais de revenir à léternelle question Quest-ce quon raconte ?, Quelle est lhistoire ?, Quelle est la dynamique de chaque mouvement ?. Avec Nam, on sest mis à parler du film en marchant, on marchait, on marchait, et le travail était de se raconter lhistoire, de la détailler de plus en plus jusquau moment où lon pensait tenir quelque chose. Là, on écrivait assez vite, on faisait lire à quelques personnes qui nous critiquaient. On reprenait ensuite la structure de lhistoire en intégrant dans nos discussions les points qui avaient été soulevés. En procédant de la sorte nous avons écrit une douzaine de moutures où chaque remise en cause était un pas de plus pour arriver à une histoire qui tienne en haleine le spectateur, où le héros gagne ses galons.
Comment avez-vous eu lidée de former ce couple inédit : Yvan Attal et Clovis Cornillac ?
Javais Yvan Attal en tête pour Vincent dès que nous avons commencé à travailler sur le scénario. Cest un acteur que javais envie de filmer depuis longtemps. Quand il a accepté le film, je me suis trouvé dans la situation idéale de voir lacteur que jimaginais depuis le début jouer le rôle. Yvan a été très actif sur le projet, cest lui qui a été à lorigine de ma rencontre avec Clovis Cornillac qui mavait impressionné par sa prestation dans le film de Thomas Vincent Karnaval. Clovis était parfait pour le rôle. Il avait changé physiquement, il sétait étoffé tout en gardant ce visage lunaire, ces yeux transparents presque innocents où lon voit lenfant dans certaines scènes du Serpent. Yvan et Clovis se connaissaient depuis longtemps et jai été heureux de leur permettre de se rencontrer dans le travail.
Et Pierre Richard ?
Pour le rôle de lavocat Gilles Cendras, je cherchais un acteur dune soixantaine dannées qui ait la prestance dun avocat daffaires tout en dégageant une certaine fragilité. Lhistoire de Pierre Richard dans le cinéma français nest plus à faire. Cest quelquun qui a marqué la jeunesse de tous les gens de ma génération. Lidée sest imposée comme une évidence. Je lai rencontré chez lui un matin, il avait ses cheveux droits sur la tête, sa barbe hirsute. On a discuté du personnage de Gilles Cendras, du scénario. À un moment, je lui fais remarquer que Cendras est un avocat et quil va devoir se couper les cheveux et la barbe et là, un blanc... un ange qui passe, puis deux, puis trois Pierre se lève, il va faire un tour dans son salon, puis il revient tout dun coup pour me dire : Je ne peux pas faire ça, je porte la barbe depuis plus de dix ans, si je la coupe je vais être tout nu !. Il sest rasé deux ou trois jours avant de recevoir son César. Quand je lai vu à la télévision je me suis dit : Ça y est, Pierre fait le film. Je crois quil était content de changer de peau pour ce personnage, content de jouer un avocat. Le travail avec lui a été vraiment formidable. Tous les acteurs se sont vraiment impliqués sur le projet, de Minna Haapkyla qui est venue de Finlande pour jouer la femme de Vincent à Simon Abkarian qui joue son avocat, Olga Kurylenko, Véronika Varga, Jean Claude Bouillon, Gérald Laroche, Pierre Marzin... je pourrais les citer tous.
Le tournage était-il aussi éprouvant que lhistoire ?
Pour raconter le scénario en images, jai travaillé avec Marie Eynard. Ensemble nous avons conçu deux types de story-boards : un premier pour les scènes daction (la chute, laccident, etc.), où les dessins étaient très précis car dans ces scènes cest limage qui conduit lhistoire et construit la tension. Un second plus malléable, pour les scènes de comédie. Grâce à cette préparation davant tournage, je savais exactement ce quil fallait raconter visuellement pour quune scène fonctionne. Je savais par exemple la liberté que pouvaient prendre les acteurs dans une scène de comédie sans que cela déséquilibre le film. Pendant le tournage, Nam et Marie qui navaient pas - de par leurs fonctions - la même pression que les gens plus impliqués dans le système de fabrication, sont restés très proche du film. Nous avons poursuivi nos discussions sur la narration et le découpage jusquà la fin du montage.
La musique est très présente dans le film. À quel moment lavez-vous intégrée au projet ?
La musique a été travaillée en amont, sur le scénario. Musicalement lhistoire est construite à partir des personnages : une structure musicale pour Plender et une structure musicale pour Vincent.
La difficulté était de trouver une musique qui raconte la folie de Plender, qui crée un malaise quand il sintroduit dans la vie de Vincent. On cherchait un son avec une ritournelle, un motif au piano, un truc obsédant, comme quelque chose de lenfance qui narrive pas à sortir du film, qui ne sortira quà la fin, dans le combat à mort. Renaud Barbier, le compositeur, a travaillé au piano sur des motifs de boîte à musique quil a épaulés avec des sons assez inquiétants.
Pour Vincent, il a trouvé un thème plus classique, plus mélodique qui sert à renforcer son isolement dans le film.
Renaud voulait aussi travailler avec des instruments peu utilisés, pour avoir des sons qui soient difficilement identifiables, plus inquiétants. Il a travaillé avec un orgue qui donne une tonalité un peu aigre. Cest un vieux son, assez beau, auquel il a ajouté des bruits denclume et dautres sons synthétiques qui donnent à la musique cette tessiture si particulière. Jai eu la chance de démarrer le tournage avec la musique du film en tête. Le thème de Vincent, les mouvements musicaux sur Plender. Je connaissais lunivers musical dans lequel on évoluait.
Vous êtes un réalisateur qui fait le lien entre le cinéma dauteur et le cinéma de genre et, en même temps, vous avez une place à part dans le cinéma français. Pourquoi ?
Ce qui a déterminé mon chemin dans le cinéma, cest que jai mis en scène en 1990 un premier film, Le Brasier, très cher, très lourd, assez jeune, à trente ans, sur lequel jai fait beaucoup derreurs. Cest un film raté sur lequel il y a eu une sorte de quiproquo. Cétait un long-métrage ambitieux. Je voulais réaliser un grand film populaire, une saga, lhistoire dune famille polonaise qui émigre dans le Nord de
Et vous attendez dix ans pour réaliser Toreros...
Le Brasier a pris une grosse partie de ma vie... presque dix ans. Après léchec du film, cela a été compliqué pour moi davoir envie de refaire un autre long-métrage. Pas de réaliser un autre film, mais davoir réellement envie de faire un autre film. Jai eu des propositions mais en fin de compte, je navais plus envie.
Pendant cette période, jallais voir beaucoup de corridas, et ce qui ma redonné envie de faire du cinéma, cest la rencontre avec la tauromachie. Jai passé pas mal de temps dans ce milieu et jai eu envie de réaliser une fiction sur ce sujet. Cela a donné Toreros un film un peu atypique pour lequel jai beaucoup daffection.
Le côté positif de ce parcours cest que Le Brasier et Toreros ont changé ma manière dappréhender le travail. En dehors des anecdotes, ces long-métrages ont changé ma façon de travailler sur les films. Ils mont remis en question, par rapport à tout le fonctionnement autour dun projet cinématographique. Pour Le Serpent, les producteurs qui connaissaient ce passé ont beaucoup porté le projet. Ils mont toujours soutenu dans les moments difficiles ce qui ma permis de ne pas mécarter du chemin que je devais suivre pour faire aboutir le film.
(propos extraits du dossier de presse du film)
FILMOGRAPHIE
2006 LE SERPENT
2000 TOREROS
1990 LE BRASIER
Éric Barbier a également réalisé de nombreux films publicitaires et UN AIR DE LIBERTÉ, téléfilm pour ARTE en 1993.
Pour en savoir plus sur le film, ses acteurs, sa fiche technique, rendez-vous sur le site officiel du film
http://www.leserpent-lefilm.com/