Il est loin le temps de E.T. et de linnocence des comtes de fée pour enfants. Le cinéma de Spielberg, dépressif et hanté par les morts, semble désormais sadresser à leurs pères defunts.
Le cinéma de Spielberg serait-il rentré dans une phase de dépression ? Minority Report, film lugubre, desespéré et méandreux, nous donne la confirmation de cette perte dinnocence, comme cétait déjà le cas dans le précédent film de Spielberg , A.I.. Le cinéaste utilise la fable politique de science-fiction pour aborder une de ses obsédantes questions quest la dépression de la famille américaine avec comme toile de fond labsence ou la mort de lenfant. La filiation et le don sont en effet les grands absents de cette histoire.
A la croisée de Blade Runner et d Orange mécanique, le film se situe dans un futur proche où John Anderton, flic de la pré-crime, appartient à une brigade qui peut arrêter les criminels avant quils ne commettent leurs méfaits grâce à des voyants, appelés « pré-cogs », sorte doracles des temps modernes. Un jour il découvre quil fait lui-même partie des suspects à arrêter
La première partie du film, très homogène et réussie, suscite un intérêt croissant pour les sujets quelle aborde ( le débat science technologique et foi, lhumain qui se passe du divin, le pouvoir des images, les conséquences dune société de plus en plus surveillée par la police ) mais aussi pour sa forme ( le refus du parti pris visuel cest-à-dire lutilisation distillée et intelligente des effets spéciaux pour rendre compte dun univers glacial à travers lutilisation dune dominante bleue de limage, le soucis du détail , le côté néo-moderne des décors, etc.). Hélas le film sétire, senlise, devient trop prévisible et conventionnel, notamment à la fin, donnant limpression que le cinéaste na pas été jusquau bout, en cédant à la facilité.
Minority Report, comme A.I., représente à mes yeux un film «inégal». Il ne parvient pas à aller jusquau bout de son questionnement : quel est le sens de lexistence et la place de lhomme dans un monde où lon parvient à tout maîtriser, même le temps ? Quelle juridiction peut on appliquer à limage et au virtuel ? Spielberg ne maîtrise pas la seconde partie de son film.
Le film traite de la défaillance du rôle du père ainsi que de léchec de la maîtrise de la violence à travers la loi. Seule brèche dans cette vision déshumanisée du futur : le personnage joué par Tom Cruise, père affligé par la disparition de son fils, qui fait appel à la mémoire et à la vérité pour prouver son innocence, nous rappelant ainsi que seul le faire mémoire permet denvisager un futur qui ait du sens.
Minority Report, film inégal certes, mais, en même temps, film à étudier de près parce quil est « vrai » (du point de vue de la personne du réalisateur qui sans démagogie ne craint pas de « miner » son univers cinématographique) et concentre en lui-même de nombreuses obsessions sociales et politiques bien réelles dans nos sociétés actuelles .
Octobre 2002
Voir aussi l'article sur la guerre des mondes dans la rubrique DVD