Un film de science fiction très maîtrisé visuellement et un personnage en proie à une angoisse existentielle
La bande annonce, comme cest souvent le cas, ne reflète pas lintelligence et la force visuelle du dernier film de N. Shyamalan. Un film à explorer dans le détail de toute sa richesse. Rappelons dabord que cest lauteur de Sixième sens et Incassable. Sa nationalité indienne et son indépendance par rapport aux studios américains ( il a écrit, réalisé et produit lui-même le film ) lui permettent de bâtir un film très personnel et imprégné de spiritualité .
Ce qui frappe dabord : la puissance visuelle que dégage ce film qui rappelle celle des films de S. Kubrick. Faisant appel à nos sentiments les plus profonds ( la peur, le rire, le rêve
) , il atteint un degré démotion que lon voit rarement au cinéma. Chaque plan minutieusement travaillé (cf. Hitchcock) guide lil du spectateur et le porte à voir juste ce quil faut, sans jouer sur le spectaculaire. Les scènes sont très souvent filmées à hauteur des sujets, nous partageons la vision des personnages eux-mêmes. Au travers de lusage particulièrement fin du son et de la musique - la bande sonore expérimentale du film souligne lémotion juste quand et comme il faut, en jouant sur les contrastes dintensité - Signes est un film « à la force silencieuse » , parfois terriblement angoissant si on se laisse prendre dans les filets de cette histoire dinvasion extraterrestre. Quon se rassure ! Il est bien question de cinéma. On est ici plus proche de lAlien de Ridley Scott que de «Independance Day » dEmmerich !
Shyamalan ne fait pas de cette force visuelle et de son réel talent de mise en scène un prétexte purement fictionnel et commercial pour se situer dans la lignée des productions américaines à grand spectacle. Son art est totalement au service du fond de son propos : laltérité de limage et du mal, extérieurs à lhomme. Limage « altère » lhomme, elle simpose à lui du dehors, venant perturber son équilibre ; elle sème en lui la division. C est de cette division à lintérieur de lhomme entre le monde de limage et le monde réel que parle le film et de la lutte quelle provoque en lêtre humain pour rechercher le vrai, le bon. Le personnage principal du film est un pasteur joué par Mel Gibson qui a perdu la foi suite au décès de sa femme : cest à ce moment que létrange voire l « Etranger » simmiscent dans sa vie et celle de son entourage , ses deux enfants et son frère cadet. Des signes surnaturels annoncent larrivée dextraterrestres pas du tout gentils. Mais, en fait, le vrai personnage de ce film est « limage » et plus précisément la télévision, constamment présente tout au long du film. Elle diffuse les mêmes images sur toutes les chaînes ( comme pour le 11 septembre ) et impose à la famille une vision unique des événements. A cette diffusion uniformisée des images denvahisseurs, soppose les images personnelles du pasteur qui constate et vérifie par lui-même la réalité de ce qui se passe ( les découvertes et la rencontre quil fait dans le champs de maïs, la rencontre de celui qui a provoqué la mort de sa femme dans un accident de voiture ). Il essaie donc de faire face à la réalité des événements, ce qui existe devant lui, ni plus ni moins, comme St Thomas devant le Christ. Ce face à face avec le réel ( symbolique du combat spirituel intérieur ) atteint son point culminant à la fin du film dans lenfermement de la cave puis dans le face à face avec lextraterrestre qui apparaît, bien réel, dans le reflet de la télévision cette fois éteinte. Ce combat spirituel évoque laffrontement de lhomme avec le mal qui est en-dehors lui, avec le réel de son existence. Plusieurs points le soulignent : dabord, le monde des enfants opposé à celui des adultes ; ce sont eux, les enfants, qui comprennent dès le départ la gravité de ce qui se passe dans lintimité du huis clos familial et leur père doit affronter leur réaction, il doit rester père même sil ne veut plus être « Père ». Le pasteur doit affronter aussi la mort de sa femme, la figure de lépouse et de la mère étant absente du film. Il affronte également la maladie de son petit garçon ; lors dune scène très forte, le père « accouche » son fils asthmatique et lui redonne la vie en lui faisant faire des exercices de respiration. Le tout de ce combat étant vécu dans lenfermement de la famille signifié par le barricadement dans la cave pour se protéger de lagression étrangère.
Le pasteur sort victorieux de ce combat. Il est sauvé par le faire mémoire de son existence, en rappelant à ses enfants le jour de leur naissance, en se remémorant les paroles de sa femme sur le point de mourir, les événements et les rencontres vécus depuis ( cf. très beau flash back de la fin ). Cest donc sa capacité à faire du sens , à relier les moments de son histoire qui vont lui permettre de sauver son fils et de retrouver la foi et lespérance. Il nappartient plus à un monde totalement livré au hasard. Cet instant spirituel de basculement où sa vie change, où il relit le passé et où il peut alors réenvisager lavenir lui est donné : le don de la grâce de Dieu dirait-on sûrement en spectateur chrétien.
Ce qui sauve lenfant du poison que veut lui insuffler lextraterrestre, figure du démon, cest la fragilité de ses poumons qui se sont fermés à cause de la crise dasthme, empêchant ainsi « le mal » dentrer. Cest donc sa condition de créé (exprimé à travers lasthme), cest-à-dire sa fragilité physique naturelle et donc symboliquement humaine, qui le sauve indirectement. Voilà pourquoi le père peut, en pensant à sa femme qui a été la mère de son petit garçon, répondre à son fils dans une grande paix: «Oui quelquun ta sauvé ».
Novembre 2002