Pour le plaisir de revoir en dvd ce joyaux de Tim Burton et cesser de se lamenter sur Halloween !
[15/12/2002]
« Vous êtes vous demandé doù provenaient les fêtes ? Non
? alors suivez-moi voici lentrée secrète » nous dit la voix off qui ouvre le film en désignant larbre aux fêtes.
Tim Burton part donc en explorateur des origines de la fête populaire païenne à travers un film original, fourmillant de détails et un scénario à lécriture foisonnante et riche signé Caroline Thompson. Le choix dassocier deux genres cinématographiques codifiés ( le film danimation et la comédie musicale signée Dany Eflman ) donne au film une originalité et une profondeur inattendue. Burton, réalisateur à limaginaire extraordinaire, construit un univers très personnel où se mêlent ses thèmes favoris comme le mélange de lhorreur et de la beauté, le baroque et le roman
En utilisant lanimation destinée au monde de lenfance, le réalisateur prend ses distances avec son sujet comme pour mieux y révéler ses interrogations voire une méditation sur la nature de la fête, et ce sans jamais tomber dans le réalisme ou le pathos qui auraient alourdi le film. Derrière le film danimation, il y a un cinéaste passionné mais aussi tourmenté qui sinterroge sur le sens de la vie.
Lhistoire : Jack « le roi des citrouilles » est le grand ordonnateur des festivités dHalloween . Lassé, il décide de partir et découvre par hasard la ville de Noël qui rayonne de joie et de liesse. Il rentre alors avec la ferme intention de contrôler la fête de Noël et kidnappe le Père Noël. Toute la ville dHalloween se met alors au travail pour fabriquer des cadeaux horribles pour les enfants. La nuit Jack part offrir aux enfants ses macabres présents. Noël devient un cauchemar qui sème la panique.
T. Burton présente au départ deux mondes nettement opposés, Halloween et Noël. La mise en parallèle des deux fêtes se fait dabord à travers une évocation manichéenne du Mal contre le Bien. Lunivers dHalloween dabord: peuplé de créatures insolites et repoussantes, il est présenté dans une dominante noir et blanc ou de jaune fade par opposition à Noël ville multicolore. Plusieurs traits de la représentation du Mal à lécran se retrouve dans la description dHalloween : le thème du double ( le maire aux deux visages), le thème de celui qui se prend pour Dieu ( le docteur handicapé qui veut posséder Sally ), le thème du masque et de la dissimulation ( les enfants se présentent à Jack masqués ), le thème du hasard et de limprévisible incarné par le fantôme Oogy Boogy avec les dés, les jeux du casino, les robots qui tirent, les lumières de night club, le serpent qui évoquent un monde inhumain et sans repères, une société moderne de consommation ; enfin des constructions en hauteur rappelant Babel ( Vous pourrez relever encore beaucoup dautres détails en regardant attentivement ! ).
Ensuite, « Christmas Town » qui présente un tout autre visage : blancheur de la neige, mouvements horizontaux, traditions, sourires, baisers, joie, cadeaux, familles, maisons, autant déléments caractéristiques du bonheur qui névitent pas toujours une vision quelque peu conformiste de lidéal social ( à ce titre la description dHalloween, qui semble avoir plus intéressé le réalisateur, est beaucoup plus fouillée et imaginative ).
Au départ nettement séparés, les deux mondes progressivement se côtoient et finissent par se mélanger. Cette association donne alors au film une tournure baroque, « étrange » comme le dit son titre : nous plongeons dans un univers beaucoup plus subtil, nuancé pour découvrir un monde non plus en noir et blanc ou en couleur mais « en palette » ( les couleurs de Noêl simmiscent progressivement dans lunivers dHalloween ). A ce stade , Burton sinterroge sur la fête en général , dépassant lopposition de départ évoquée dans le conflit entre bien et mal, tradition et modernité. Lhomme exprime dans la fête quil nest pas cet être fait dun seul bloc, sans nuances, mais au contraire une personne complexe, avec des ambivalences : la fête dans laquelle il ny a plus de règles, permet dexprimer et dexorciser tout ce qui touche profondément lhumain (lamour, la vie , la mort, la souffrance, la beauté, le mal, etc.). Linversion des deux univers transporte donc le film dans une dimension spirituelle. Bien sûr le questionnement du cinéaste nest pas directement religieux mais le film laisse entrevoir une exploration de luniversel qui sexprime dans la quête du bonheur.
Cette quête se cristallise dans le personnage de Jack dont litinéraire mérite ici toute notre attention. Cest lui et le personnage de Sally qui donnent la clef du film et la réponse à linterrogation de départ posée par le cinéaste. Son cheminement intérieur représente ni plus ni moins celui dune conversion, presque au sens religieux du terme. Au début de lhistoire, cest un personnage qui nest pas en accord avec lui-même. Admiré de tous pour ses talents dorganisateur dHalloween , son chant - au passage notons que le chant dit toujours la vérité cest-à-dire quil exprime toujours lauthenticité du sentiment des personnage par rapport au mode parlé - nous apprend pourtant que cest un personnage mélancolique, torturé, malheureux, las de la vie malgré le succès, « sa vie nest quun long sanglot ; il est marié avec la peur ». Ce constat intérieur va le pousser hors de la ville dHalloween pour arriver dans la forêt , lieu du passage et de linconnu qui sera pour lui le début dun réveil intérieur. Cest à travers un arbre, symbole de la vie, que le voyage vers Noël seffectue. Détail intéressant aux yeux du chrétien, cest le « vent » qui pousse Jack à entrer dans larbre. Cest alors la grande découverte , le choc pour notre héros : les gens sont heureux, « la vie a remplacé la mort », ni cauchemars ni misère, la paix règne , « mon cur saffole, ma vie prend un nouveau visage » chante-t-il. De retour chez lui cet électrochoc intérieur est symbolisé par la cloche qui convoque tous les habitants dHalloween : Jack veut faire part de ses découvertes. La cloche constitue à ma connaissance le seul symbole religieux montré dans le monde dHalloween. Nouvelle étape, Jack cherche à comprendre Noël. « Il y a sûrement une façon logique dexpliquer cette fête bizarre » confie t-il tout en analysant scientifiquement les objets de Noël . « Il y a tellement de choses qui méchappent ; je veux comprendre ce secret ». Là encore sa réaction ne peut pas laisser indifférent : il cherche à comprendre scientifiquement une fête qui fait appel à lamour et la foi et qui ne peut se comprendre intellectuellement. Rappelons-nous Nicodème, ce grand savant qui ne comprend pas linvitation du Christ à renaître, à faire confiance radicalement. Eh bien notre Jack nen est pas loin du tout ! Crispé sur ses analyses, il ne parvient pas encore à lâcher prise pour laisser son être sexprimer, pour recevoir de lintérieur la paix et lamour liés à Noël.
A cette difficulté il va apporter deux réponses. La première savère désastreuse. En voulant remplacer Noël par Halloween, Jack devient lennemi public n°1 des habitants de « Christmas Town » ; au terme dune cavalcade, son traîneau est détruit, Jack est abattu en plein vol et atterrit dans un cimetière dans les bras dune statue représentant un ange. La scène qui suit alors constitue le retournement charnière de lhistoire ; elle est filmée avec un mouvement de caméra très fluide tournant autour du personnage. Dune part ce mouvement de caméra est unique dans le film et dautre part il est intéressant dobserver que le mouvement entoure le personnage comme pour mieux le cerner, en tous cas pour souligner la situation centrale à ce moment du récit. Symboliquement , notre personnage se retrouve pris sous la coupe dun ange gardien ; il ressuscite et entame une nouvelle méditation intérieure qui débute par un sentiment de culpabilité ! « Tout est ma faute. La mort mappelle » lance t-il . Mais ce passage par la culpabilité débouche tout de suite sur un autre appel à se remettre debout. « Au fond je voulais leur faire plaisir ; de toute façon je men fiche , mon vieux squelette a retrouvé son âme denfant » Qu y a-t-il à rajouter ? Jack est un homme nouveau , il a vécu un retournement intérieur.
Il ouvre enfin les yeux devant celle qui laime depuis le début et qui a tout fait pour le protéger , Sally « la petite fille seule et décousue » qui incarne la pureté de lamour . Dans sa chanson elle avoue très vite quelle aime Jack « sait-il que pour lui je donnerai ma vie ? ». Comme figure messianique, cest le seul personnage capable daimer parmi tous les habitants dHalloween.
Lunivers dHalloween a désormais changé : la neige se met à tomber et vient purifier cet univers du mal qui devient blanc immaculé, comme lavé de ses fautes. Sally et Jack chantent lamour sur une colline derrière une lune devenue soleil. La musique se termine sur un accord final en majeur ( le seul du film ! Le reste de la partition étant en mode mineur ! ) « La lumière dun amour éternel est vraiment la plus belle » disent les paroles de la chanson avant de laisser place à une étoile brillant dans le ciel. Cest létoile de la quête universelle et éternelle.
A travers la conversion exemplaire du personnage de Jack, Burton dévoile donc le sens ultime de son film. Les racines profondes de la fête viennent certes des rites qui la constituent, différents et en même temps similaires dune fête à lautre. Mais ce qui intéresse profondément le réalisateur cest la dimension « sacrée » de la fête comme lieu dexpression de luniversel de lexistence humaine. A travers la fête, lhomme exprime ce qui le dépasse. Aussi le sens ne vient pas tant des rites que du cur de lhomme et de sa foi en la vie. Le personnage de Jack en fait lexpérience puisquil découvre quau-delà du fonctionnement des fêtes, comptent avant tout lamour qui sy exprime, les liens qui sont tissés. Le réalisateur montre que laudace de lamour et du cur bouleverse à elle seule les conventions ; à ses yeux, le vrai esprit de la fête vient de lintérieur de lhomme, comme force de vie et despérance, comme volonté de lutter contre labsurde, le mal et la souffrance. Des langues de feu qui font taire nos langues de bois lorsque « avoir lesprit de fête » devient toute une manière de vivre.